Je m’appelle France de Griessen. Je suis auteur-compositeur, interprète et artiste pluridisciplinaire.
J’ai posté, en début d’après-midi le premier janvier, sur ma page d’artiste Facebook la pochette de mon album « Saint Sebastien », à paraître le 20 janvier 2014. Quelques heures plus tard à peine, ma pochette a été censurée, et mon compte a été bloqué pendant plusieurs jours, m’empêchant ainsi de poster mes informations et de communiquer sur ce réseau social, à quelques jours de ma sortie d’album.
Pour un artiste indépendant, être privé de l’usage de ce moyen de communication revient à être privé de l’utilisation du réseau actuellement le plus efficace pour promouvoir son travail.
Mon « crime »? Avoir posté une photo que facebook considère comme « offensante », à savoir la photo choisie pour ma pochette.
Cette photo est l’œuvre de Richard Dumas, photographe qui travaille régulièrement, entre autres, pour les quotidiens français Le Monde ou Libération.
On lui doit de nombreux portraits en noir et blanc de personnalités. Il a notamment photographié Robert De Niro, Lou Reed, Miles Davis, David Lynch, Daniel Darc, Alain Bashung, Etienne Daho, Juliette Greco… Il est l’auteur de nombreuses pochettes de disques.
Richard Dumas est représenté par l’Agence VU et la Galerie VU.
J’admirais son travail depuis longtemps : un artiste qui est dans l’intemporel, le mystère, la liberté. Après que Richard eut écouté mon album, nous avons fait une séance photo.
Lorsque j’ai reçu les photos, celle que j’ai choisie pour la pochette correspondait exactement au propos artistique de mon album, et j’ai été éblouie de la manière dont Richard avait su avec autant de force exprimer et retranscrire visuellement mon univers et ma sensibilité.
J’ai traversé des épreuves personnelles très difficiles pendant la période où « Saint Sebastien » a été composé. A un moment donné, c’est l’image du martyre de Saint-Sébastien qui m’est apparue, d’où le titre de l’album. Je me sentais face au monde, transpercée de toutes parts, avec des blessures à vif sur tout le corps. Dans un état de faiblesse à la fois émotionnelle et mentale telle que cela atteignait tout, du cerveau jusqu’à ma peau, et puis il y avait aussi une force lumineuse qui me maintenait miraculeusement là, qui m’a permis de tout traverser.Il y a des jours où j’avais la sensation d’être complètement en dehors du monde, sensations étrangement sensuelles aussi parfois, ou la seule réalité est celle de la chair.
Saint-Sébastien évoque à la fois la souffrance, littéralement “à fleur de peau” avec ses plaies ouvertes, mais aussi beaucoup de force, une beauté singulière et c’est aussi une figure érotique puissante. Il est poétique, provocant et flamboyant. Tout ce qui m’a « parlé » dans le rock’n’roll.
Considérer cette photographie comme une offense aux bonnes mœurs revient à nier son sens symbolique et poétique et son caractère artistique.
A l’heure où les réseaux sociaux sont utilisés par presque tout le monde, et où facebook demeure malheureusement un outil indispensable et incontournable pour la promotion des artistes de la scène indépendante, ce puritanisme dictatorial m’atteint directement, certes, mais il me semble indispensable de dénoncer tout ce que cette censure implique, bien au delà de mon propre cas.
Tout d’abord, le corps de la femme est considéré par facebook comme « offensant ». Mais qui est offensé ? Un demi-téton (on ne voit pas plus sur ma pochette) suscite le blocage de mon compte et le retrait immédiat de la photo. Pourtant de très nombreuses pochettes et photos présentent des hommes torse nu, et, bien sûr, dans ce cas, il n’y a aucune censure. Voir les tétons d’Iggy Pop, de Prince, des membres de Manowar, de Thiefaine, etc…pas de problème. Mais un téton féminin, quel scandale!
Je cite France Info : « L’année dernière, le magazine américain Gawker s’était procuré une note interne de facebook et indiquait qu’il y était stipulé que “la nudité de certaines parties privées incluant les mamelons féminins gonflés et les fesses” était interdite. “Les mamelons masculins sont OK”, précisait par contre la note. » (extrait d’un article paru sur leur site le 18 mars 2013 intitulé « Nudité : Facebook est-il trop prude ? »)
Facebook entend-il rétablir les critères de censure relatifs aux représentations féminines énoncés par le code Hays ou Motion Picture Production Code établi pour les oeuvres cinématographiques par le sénateur William Hays, président de la Motion Pictures Producers and Distributors Association, en mars 1930 et appliqué de 1934 à 1966 ?
A l’heure où l’on parle d’égalité des sexes, pourquoi ne s’appliquerait t’elle pas à la création artistique ? Pourquoi cette distinction? Parce qu’un corps de femme est plus excitant ? Ou plus dangereux ? En quoi ?
Et en ce cas, qu’en est-il des homosexuels? Ils trouveront très certainement plus à leur goût un torse masculin. Ceci dit, puisque les glaçantes « manifs pour tous » ont montré que certains voulaient lutter contre l’égalité en privant les homosexuels des mêmes droits que ceux de tout le monde, on ne s’étonnera pas qu’ils choisissent d’ignorer cette possibilité. Cachez ce que je saurais voir, ça le fera disparaître…
Le caractère intraitable et arbitraire de facebook quant à la nudité féminine semble beaucoup plus tolérant quand il s’agit de barbarie : à titre d’exemple, tout le monde se souviendra de la présence sur le réseau social de cette vidéo mettant en scène un homme décapitant une femme, qui fut très longtemps accessible à tous, au prétexte que montrer la violence est acceptable tant qu’on n’en fait pas l’apologie, en niant tout voyeurisme de la part des utilisateurs. Ces images de barbarie ne sont elles donc pas « offensantes » ?
Facebook, prenons en note, refuse aux artistes la liberté d’expression qu’il offre sans censure ni fermeture ou blocage de leurs comptes à Adolf Hitler, Charles Manson, Benito Mussolini que l’on peut croiser sur le réseau social dont ils sont membres actifs, sous ces noms historiques.
Il est vraiment temps de réagir contre cette pudibonderie non-fondée en arguments cohérents, inculte, malsaine et qui s’installe insidieusement mais sûrement.
L’art sert à réinventer le monde et à en donner d’autres lectures. C’est une fonction sociale indispensable. Rappelons qu’un régime totalitaire n’aura de cesse que de museler ses artistes, ainsi que tous ceux qui ne rentrent pas dans le rang.
Pourquoi en arriver là? Pour qu’il n’y ait plus qu’une lecture du monde, officielle, uniforme et aseptisée.
C’est terrifiant. C’est la politique de facebook.
Je remercie tous ceux qui relayeront et soutiendront ce manifeste, que ce soit par voie de presse ou internet.
France de Griessen